Matthias RouageD’où vous est venue l’idée de ces zoanthropes, ces êtres mi-humains, mi-animaux, dont certains ignorent jusqu’à leur majorité qu’ils possèdent ce gène mutant ?

À vrai dire, je ne m’en souviens pas vraiment moi-même. C’est une idée qui s’est imposée toute seule. Bien sûr, elle a été influencée. J’ai toujours été entouré d’animaux. Quand j’étais plus petit, notre maison avait de quoi ressembler parfois à une animalerie. Entre petites bêtes habituelles : poissons, tortues, lapins, hamsters, chiens, chats… Et celles plus exotiques : lézards, furets, insectes. J’ai grandi avec des animaux et je pense que l’amour que je leur porte est resté. Je voulais sans doute leur rendre hommage sans même m’en rendre compte. C’est en tout cas comme ça que je le vois maintenant.

Ce qui est d’ailleurs amusant, c’est que les animaux en question ne sont pas que des animaux « nobles », certains sont très communs, voire détournés de l’image qu’on leur prête habituellement. Le totem d’un des plus dangereux personnages est ainsi… un panda !

Eh oui. Il aurait été presque dommage de tomber dans la facilité en utilisant beaucoup d’animaux connus comme des loups, des panthères, etc. Certes, on en retrouve, comme Monsieur Mantycor, qui est un lion. Cependant, je voulais utiliser des animaux moins connu. C’est ainsi que Faith, l’amie de notre héroïne, porte en elle un ocelot, un félidé que beaucoup de personnes ne connaissent pas. Dans le tome deux, je voulais d’ailleurs inclure un animal totalement répugnant. Du genre de ceux que l’on n’aimerait pas côtoyer.
Il s’agit d’une très courte apparition, vous verrez, mais cela montre que oui, il y a des zoanthropes dont on n’envie pas vraiment l’animal.

Les thèmes de l’apparence et des faux-semblants sont centraux, dans ce livre. On passe d’une révélation à une autre sans temps morts, et à part, peut-être, le personnage central de Shina, bien malin celui qui peut dire qui est vraiment ce qu’il affirme être…

Eh bien, j’estime qu’il est rare de vraiment connaître quelqu’un. Généralement, on pense connaître une personne, jusqu’à ce qu’on découvre une nouvelle facette de sa personnalité. Mais dans Zoanthropes, comme dans la vie, nous agissons pour atteindre des buts. Les hommes ne sont ni bons, ni mauvais. Nous voulons juste arriver à nos fins. Les personnages de Zoanthropes sont identiques. Ils ont un objectif à atteindre et certains sont déterminés. Si certains resteront droits et honnêtes, d’autres n’hésiteront pas à mentir. Si vous pouviez réaliser votre rêve le plus cher, jusqu’où iriez-vous pour le voir se concrétiser ?

zoanthropes1Votre vision de l’humanité future est assez pessimiste : les liens fraternels entre les hommes n’existent quasiment plus, et les thèmes de l’amitié et de la famille relégués au second plan face à l’intérêt collectif.

Certes, l’univers de Zoanthropes est futuriste. Mais pour moi, il reflète également une grande partie de notre passé à tous. Même si le sujet est dur à aborder, je dois avouer que j’ai toujours été intrigué par l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Comment une chose aussi horrible que l’holocauste a-t-elle pu être orchestrée ? Les nazis n’avaient-ils pas conscience de ce qu’ils faisaient ?
Zoanthropes en est quelque peu le miroir, mais transposé dans une société futuriste. Les zoanthropes sont traqués, chassés, tués et personne ne remet ça en question. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un effet de masse. Si une majorité commence à agir, même mal, cela devient une norme. « Je l’ai fait parce que les autres le faisaient aussi », voilà ce que répondaient beaucoup de soldats allemands. Des paroles qui pourraient très bien se retrouver dans la bouche de beaucoup d’humains de mon livre.
En général, je ne suis pas quelqu’un de pessimiste, au contraire. Mais j’ai peur que les erreurs du passé ne se répètent. Zoanthropes, c’est la face sombre de chaque être humain, tout en étant également sa face claire. Il montre jusqu’où les préjugés peuvent nous amener. Mais également comment faire pour les combattre.

On sent dans votre récit de très nombreuses influences, éclectiques, toutes parfaitement assimilées et intégrées. Quelles sont celles que vous revendiquez ?

Je revendique toutes celles qui ont un rapport avec la pop culture, ou la culture de masse dans laquelle j’ai grandi, des années 80 à 2000. Que ce soit l’arrivée du manga, le développement de ce qu’on pourrait appeler maintenant la « culture geek », les séries américaines, les codes de la quête initiatique des romans jeunesse, la technologie et la domotique. Ce ne sont que des exemples qui représentent mon paysage culturel. Et c’est des éléments que l’on retrouve un peu partout dans Zoanthropes.

Le tome 1 s’achève sur un cliffhanger très efficace, qu’il serait malvenu de dévoiler ici. Mais pouvez-vous nous dire en combien de tomes est prévue la saga ?

La saga est prévue en deux tomes. Court, simple, efficace. L’histoire aurait pu s’étendre sur beaucoup d’autres tomes, mais au risque d’endormir le lecteur. Le tome 2 est un concentré d’actions, de scènes marquantes. Je veux tenir le lecteur en haleine. Le deuxième volume débute quasiment là où le premier s’est arrêté, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il commence sur les chapeaux de roues et que beaucoup de lecteurs vont être surpris de la tournure des évènements.

zoanthropes2Trois générations ont lu votre livre dans ma famille (de 10 à 62 ans), toutes l’ont apprécié sans réserve. Alors pour quel public écrivez-vous ?

À la base, Zoanthropes est écrit pour la jeunesse, à partir de 13 ans. J’utilise un style simple pour que les scènes puissent être plus faciles à imaginer. Toutefois, rien n’empêche un adulte de lire le livre. Si ce style simple peut bloquer certaines personnes, je pense que chacun peut se retrouver dans le livre. Pas forcément dans les personnages, mais plus dans les thèmes abordés qui ont pour but de faire réfléchir, peu importe l’âge.
La discrimination, la différence, le regard des autres, nous y sommes tous confrontés un jour ou l’autre de notre vie, pour une raison qui est propre à chacun.
Pour grandir, nous forger, nous nous comparons à autrui. Comment réagir quand l’autre nous rejette ?
L’important pour moi n’est pas l’âge des lecteurs. L’important, c’est que chacun se sente un peu concerné et que le livre fasse réfléchir. Ce livre est certes le « mien » car j’en suis l’auteur, mais il est surtout à vous lecteurs, par tout ce que vous en faites et les réflexions que vous en tirez.
Alors oui, Zoanthropes est, à la base, un livre jeunesse. Dans la forme du moins. Dans le fond, il est peut-être un peu plus que ça.